Le Chemin de l’enfer -3 à 6-
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Château de Tylney, Samedi 19 mai :18h00.
Un voiturier prend en charge le bolide de John et nous gravissons un large escalier qui nous mène devant une large porte-fenêtre à l’entrée du château. Un maître d’hôtel nous invite à le suivre et nous demande nos cartons d’invitation. John les lui remet. Le majordome m’indique une large porte de chêne et me laisse pénétrer dans la salle, tandis que John continue dans le hall d’entrée. Je me retrouve dans une vaste pièce où siège sept personnes derrière une longue table recouverte de satin bleu clair. Un long tapis rouge est déroulé au milieu de la salle éclairée par deux immenses lustres de cristal. Huit grandes fenêtres s’ouvrent sur le jardin. Plusieurs tableaux et d’immenses tapisseries sont suspendues aux murs. Un laquais vêtu d’une longue redingote cramoisie me fait signe d’avancer vers la table où le plus âgé des personnages me questionne :
— Bonsoir mademoiselle, comme vous devez le savoir, vous êtes ici pour apprendre les règles du jeu et être estimée, cela vous pose t-il un problème ?
Agacée et hautaine :
— Mon ami m’a informé de tout cela !
Il reprend :
— Je n’en doute pas, mais nous allons tout de même vous rappeler quelques obligations liées à l’acceptation de votre participation à cette soirée.
Premièrement, nous allons vous examiner en détail, vous défilerez devant nous sur ce tapis, nous vous donnerons les instructions au fur et à mesure du déroulement de l’examen et vous obéirez à nos demandes sans contestations.
Deuxièmement, nous prendrons vos mensurations et poids, puis nous vous prendrons en photo pour constituer votre dossier.
Troisièmement, nous vous remettrons un certain nombre de jetons que vous pourrez jouer dans la salle : toutes sortes de jeux y sont présents, jeux de casino, société, paris de toute sorte …
Quatrièmement, vous devrez nous restituer le même nombre de jetons ici même au plus tard demain matin à huit heures.
Cinquièmement, vous pouvez « récupérer » des jetons en proposant ou en acceptant d’échanger vos charmes …. à vous de les négocier au mieux !
Dernièrement, vous signerez le contrat d’acceptation de ces règles, ce qui équivaut, vous l’aurez compris, à une reconnaissance de dette envers le comte Ferring, propriétaire des lieux.
Avez-vous des questions à poser avant de commencer ?
Je demande :
— Au cas où je reviens vous voir avec plus de jetons que vous ne m’en avez prêté, que se passe t-il ?
— La différence vous est offerte en monnaie sonnante et trébuchante, soit vingt Livres par jeton.
— Je n’ai plus de questions …
L’examen commence :
— Faites quelques aller retour sur le tapis, bien droite, comme si vous étiez mannequin …
Je m’élance, forçant ma démarche, comme si j’avançais sur un fil tendu devant moi, demi-tour à la fin du tapis et retour vers l’entrée.
— Merci, ôtez votre robe, et recommencez …
Le laquais s’approche alors que j’ouvre la petite fermeture éclair sur le côté de la robe qui s’affaisse à mes pieds.
— Les bas, aussi, mademoiselle.
L’homme de service récupère mes affaires, je me retrouve intégralement dénudée, perchée sur mes escarpins mauves à haut talons. Je retourne sur le tapis pour quelques aller et retour.
— Merci, allez sur la balance, la-bas… sans les chaussures.
Une petite balance se trouve dans un coin de la pièce, le laquais m’accompagne, m’aide à monter sur la machine et relève mon poids. Je descends alors qu’il annonce :
— Cent dix huit livres.
Il me prend les épaules et me plaque sous la toise :
— Cinquante quatre pouces.
Il sort un mètre de sa poche et prend mes mensurations :
— Trente … Dix neuf … Trente …
Le majordome me dirige vers un autre espace et me demande de poser devant une grande tenture. Un appareil numérique manipulé à distance par le jury me prend en photo.
— Merci, vous pouvez revenir …et remettre vos chaussures me dicte un des juges.
J’attends, face à eux, leur verdict …alors qu’ils délibèrent à voix basse.
Quelques minutes plus tard, une imprimante débite un document.
Le doyen prend la parole :
— Mademoiselle, nous vous remettons cette bourse avec votre numéro, ainsi que trois mille deux cent jetons. Les marques sur votre dos vous ont quelque peu pénalisé, approchez pour signer votre contrat.
Je lis la feuille, la complète et la signe en l’approuvant et en la datant, puis je la leur remets en échange de la petite bourse en satin noir où chiffre quarante six y est brodé en fil d’or que je passe autours de mon cou.
— Merci mademoiselle, amusez vous bien …
Le laquais m’accompagne jusqu’à une double porte de chêne, appuie sur un bouton pour en déclencher l’ouverture. La porte pivote silencieusement sur un sas où attend un autre serviteur. Les battants se referment lentement. J’ai un moment d’appréhension devant l’huisserie encore clause. Le laquais, lui aussi en redingote sombre, enclenche le mécanisme d’ouverture…
La salle est immense prenant toute l’aile gauche du château, éclairée par des dizaines de larges fenêtres et porte-fenêtres, cinq ou six cent personnes sont réparties autours des tables de jeu alignées sur le sol de marbre rose. Des lustres gigantesques diffusent une lumière blanche et un monumental escalier mène à une mezzanine pour accéder à l’étage. Un brouhaha incessant monte de la foule dominé par les injonctions des croupiers. J’avance dans la salle, où je peux apercevoir une cinquantaine de femmes aussi dénudées que moi et une trentaine d’hommes affublés d’un minuscule cache-sexe. Les autres sont en robe du soir ou en smoking, tous sont tellement affairés, qu’aucun ne fait attention à mon entrée. Je n’ai plus qu’à m’approcher pour espérer y retrouver John. Je ne connais pas tous les jeux installés, mais j’aperçois plusieurs tables de roulettes et jeu de boule, de Black-jack, de Baccara, de Craps ou de Poker, et des jeux de société comme le Monopoly, les petits chevaux…
Je déambule parmi les invités en observant la frénésie ambiante, les enjeux s’élèvent parfois à plusieurs dizaines de milliers de Livres, certains joueurs sont abattus tant leurs pertes sont importantes, d’autres, au contraire affichent une mine radieuse devant leurs gains. Je remarque que quelques démunis gravissent l’escalier et disparaissent à l’étage en compagnie d’hommes ou de femmes satisfaits de leur transaction. Ma tournée me conduit auprès d’une immense cheminée où quelques bûches se consument. Un homme en smoking immaculé me suit du regard. Dans la quarantaine, il est assis seul à une table de Monopoly et semble attendre l’arrivée des trois autres joueurs. Les tempes grisonnantes, le regard bleu presque transparent et son profil grecque ne me laisse pas indifférente. Peut-être l’a t-il remarqué car il m’adresse un signe discret, m’invitant à le rejoindre. Attirée par son magnétisme, je m’approche lentement, contournant les quelques tables qui nous séparent. Un laquais s’empresse de nous servir une coupe de champagne. Toujours sous le charme de son sourire, je m’assieds en face de lui, acceptant par le fait d’entrer dans la partie, le croupier-banquier récupère ma mise. L’homme me détaille, et son regard perçant me met immédiatement mal à l’aise. Toutefois, son agréable sourire me plait et j’engage la conversation :
— Bonsoir, merci pour le champagne, venez vous ici souvent ?
— Bonsoir, mademoiselle… ? Son ton interrogatif m’incite à me dévoiler :
— Claire, je viens pour la première fois…, peut-être pourriez vous m’aider un peu… exceptionnellement, bien sûr !
— Eh bien , Claire, oui, on peut dire que je vis ici… Comte Ferring.
— Oh excusez-moi, je ne connais personne…
— Vous êtes toute excusée, mademoiselle. Et pour votre deuxième question, même exceptionnellement, il n’est pas dans mes habitudes d’aider… vous comprenez, j’espère…
Nous plongeons notre nez dans notre verre de champagne, plus par contenance que par nécessité. Quelques minutes passent dans un silence accablant, quand une admirable rousse aux cheveux longs, fuselée dans une robe argentée au décolleté impressionnant mettant en valeur sa magnifique poitrine fait son apparition et s’installe à notre table.
— Bonsoir, baronne, comment allez vous ? demande le comte.
— Admirablement, vos soirées sont toujours un ravissement, de la table de roulette, je vous ai aperçu, visiblement en quête de partenaires…, mais présentez moi, cher comte…
Ferring enchaîne :
— Baronne Ludwiska, Claire, nouvelle venue…
Je m’incline légèrement pour répondre à son signe de tête, alors qu’elle sort de son petit sac à main blanc sa mise que le banquier range prestement.
Un quatrième joueur s’assoie à notre table en ayant pris soin d’en demander la permission au comte. Brun, dans la trentaine, il porte un smoking noir, ses yeux noisette, pétillent de malice.
— Bien, sûr, asseyez vous… Je vous présente Lord Kinsley, Baronne Ludwiska, Claire… Je pense que notre partie peut maintenant commencer…
Lord Kingsley s’acquitte également de sa participation. Le croupier nous rappelle quelques règles élémentaires sur le déroulement du jeu, le gagnant empochant la mise des trois autres joueurs. Les dés seront lancés d’un gobelet sur une piste attenante au jeu. Le banquier débite d’autres règles que nous enregistrons.
La baronne commence et achète rapidement quelques terrains. Le comte suit et ramasse un peu d’argent et des terrains. A mon tour, j’achète aussi terrains et paye les loyers. Lord Kingsley joue aussi mais va en prison immédiatement sous les commentaires amusés du comte et de la baronne.
Plusieurs tours se passent, les jeux sont équilibrés, tant par le nombre de terrains que par l’argent. La partie s’intensifie au fur et à mesure des ventes et des échanges. Une heure plus tard, la tension est palpable, Lord Kingsley est en passe de faire banqueroute et va céder ses terrains à l’un de nous trois. Deux tours plus tard, je ramasse ses biens et m’empresse d’investir, m’octroyant une longueur d’avance sur mes concurrents. Par un fait du hasard, la baronne cède au comte Ferring la totalité de ses biens et se retire du jeu. Le comte et moi sommes maintenant pratiquement à égalité et seul un coup du sort peut nous départager. Des spectateurs se passionnent pour notre duel qui n’en finit pas, la balance penchant tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre sans décision réelle.
Le comte demande une petite pause et commande du champagne que nous savourons, nous octroyant de ce fait une agréable et nécessaire pause.
Puis, la partie reprend aussi acharnée qu’auparavant. Mais deux tours plus tard, la chance m’abandonne, car coup sur coup, je tombe sur ses hôtels sans contrepartie, Le jeu semble définitivement basculer de son côté, et je me sens de plus en plus mal à l’aise. Alors que nous dégustons notre vin, le comte me glisse un petit carton qu’il vient de griffonner.
Je lis la fine écriture : « Offre de rachat : 500 jetons par quart d’heure avec vous… ».
J’avoue que sa proposition me prend complètement au dépourvu, et je bredouille :
— Comte, la partie n’est pas encore terminée…
Il me coupe :
— Cette offre n’est valable que trois tours, passé ce délai, cette proposition s’annulera…
Je me ressaisis et je lui demande son stylo pour lui répondre, avec aplomb je lui retourne son billet corrigé : « Offre de rachat : 1500 jetons par quart d’heure avec vous… ».
Il le lit, et me sourit, très amical, m’observant en plissant les yeux :
— C’est entendu…
Mon coup de bluff ayant été un demi succès, la partie recommence. Les deux coups suivants voient le comte me rendre ce que je venais de lui remettre et nous nous retrouvons encore à égalité sous les murmures admiratifs des spectateurs de plus en plus nombreux, certains vont même jusqu’à parier sur le gain de l’un ou de l’autre. Le troisième tour arrive et je passe entre les mailles de son filet condamnant du même coup son offre de rachat.
Le quart d’heure suivant, le jeu trouve une fin inattendue quand le comte Ferring s’effondre sur un mauvais coup de dés, me laissant seule victorieuse de la partie sous les applaudissements sincères de la foule. Le croupier me remet l’enjeu de notre rivalité.
Bon joueur, le comte déchire son billet, me félicite et m’offre son bras pour avancer jusqu’au buffet particulièrement appétissant.
Un laquais nous sert une autre coupe de champagne, et nous picorons joyeusement dans les canapés étalés devant nous. Le comte m’invite à une table et d’un geste commande un plateau que le serveur s’empresse de nous apporter. Je commence sérieusement à apprécier la vie de château, surtout en compagnie d’un si galant homme.
— Dîtes moi, Claire est un prénom d’origine française ? Me demande t-il d’un avec un ton de curiosité dans la voix.
— Effectivement, je ne suis que de passage à Londres, en fait pour affaires, je repars vendredi en TGV pour Paris. Je me suis retrouvée ici un peu par hasard, et beaucoup par curiosité….
— Ah, la curiosité féminine ! J’espère surtout que vous passez une excellente soirée. Reviendrez vous nous voir ? Paris n’est pas si loin, en quelques heures, vous êtes ici…
Je lui confie :
— Franchement, je ne sais pas, d’autres affaires m’appellent à l’étranger… alors que nous finissons le plat d’amuse-gueule et notre champagne. Brusquement, le comte se lève et me demande de l’excuser, car ses invités l’attendent, Je le salue en le remerciant pour ces quelques instants si agréables.
— Claire, c’est moi qui vous remercie pour ce charmant moment passé en votre compagnie, nous nous reverrons certainement au cours de la soirée… Qui sait ? A une table de jeu où ailleurs….
Je murmure :
— A tout à l’heure, comte… en le suivant des yeux, alors qu’il s‘éloigne déjà vers d’autres occupations. Je reste quelques minutes, les yeux dans le vague, repensant à cet homme si discret, mais pourtant si captivant, de part sa prestance bien sûr, mais aussi de son charisme et de la force tranquille qui se dégage de lui. C’est John qui me sort de ma rêverie, avec un plat et deux coupes qu’il pose sur la table, s’invitant du même coup.
— Je vois que tu as fait la connaissance de notre hôte. Tu dois lui plaire, car il très rare qu’il s’attable avec un invité, remarque John en plaisantant.
Pour le narguer, je rétorque :
— Oui ? il m’a même complimenté sur ma robe !
John m’invite à poursuivre la soirée vers les tables de jeux. Nous nous levons et nous dirigeons vers les roulettes. J’ai gagné une coquette somme et j’ai décidé de la rejouer. Je m’approche donc d’une table où une place est libre et m’y installe, suivie de John qui visiblement ne me quitte plus. Il reste derrière moi, surveillant mes investissements. Le croupier débite ses phrases alors que les joueurs réunis autours de la table de roulette placent leurs mises. Certains empochent quelques jetons alors que d’autres en perdent. Pour commencer, j’en place sur le rouge, la boule tourne et je double ma mise. Encouragée je recommence sur diverses cases et je me retrouve à la tête d’une véritable fortune au bout d’une demi heure de jeu. John me félicite et nous allons fêter ces gains devant une coupe de champagne. Ma petite bourse est gonflée. Le calcul en Livre me donne le vertige. Jamais je n’ai possédé une pareille somme, et j’avoue que je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir en faire.
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