Nuits de Chine

1- Femme de flammes
jeudi 24 juin 2021
par  Sibylline
popularité : 1%
26 votes

Sélène descendait les trois marches de marbre de l’hôtel et s’avançait vers la limousine. Le chauffeur l’attendait sans impatience. C’était un chaud matin d’été à Shanghai. Le portier de l’hôtel, droit dans sa livrée, la regardait si attentivement qu’on eut dit qu’il tenait à s’approprier l’image de Sélène au-delà de l’instant fugitif, à conserver le souvenir de cette femme étrangère en veste de tailleur de soie gris perle, claire et lumineuse comme un sourire sous le soleil de juillet, de sa jupe courte assortie à la coupe droite qui racontait ses fesses rondes et hautes, si jolies et si inconnues là-bas, de ses jambes nues et bronzées, longues et élégantes que rehaussaient des chaussures à talon haut qui affirmaient sa tranquille assurance matinale. Sélène s’est appuyée contre l’épaule d’Aurélien, son mari, attention vis-à-vis du complice de chaque instant depuis cinq ans. Il l’emmenait, son bras entraînant passé autour de sa taille.
Le chauffeur accueillit le couple et l’invita d’un regard à prendre place. Sélène lui souffla un discret merci, Aurélien à son tour s’y été assis au côté de Sélène. Aucun d’eux n’a emporté de bagage, sinon elle, un petit sac à main au contenu usuel. Au signe d’acquiescement d’Aurélien, un lent hochement de tête que le chauffeur guettait dans le rétroviseur, il mit le moteur en marche et a lancé la voiture dans la circulation. Ne quittant que brièvement Sélène des yeux il observait dans le miroir cette femme qui lui est confiée et souriait de toutes ses dents à la beauté de son visage, de sa peau satinée, aux plis fins et rieurs à ses yeux, à sa poitrine menue et ronde dont la naissance apparaissait à la faveur d’un léger décolleté. Elle est jeune et tout en elle respire la fraîcheur, le chauffeur en affichait un visage si réjoui qu’il disait sa gourmandise ; Aurélien le voyait bien et le laissa faire et Sélène, assise derrière le chauffeur, ne le devinait pas. Puis, la voie libre, la voiture avait accéléré et son chauffeur ne s’est plus occupé que de sa route.
Il avait été convenu qu’aujourd’hui ils rendraient visite à Monsieur Deng. Aurélien avait dit à Sélène ne pas le connaître, mais que son invitation serait un honneur autant qu’un bonheur tant sa maison traditionnelle recelait les trésors qui seraient la vraie découverte de ce voyage. Il s’était excusé de ne pas savoir où il logeait sinon que c’était à bonne distance de Shanghai, mais avait rassurée Sélène en lui indiquant que Monsieur Deng leur enverrait une voiture les chercher. Elle était heureuse de cette visite au point de s’en montrer impatiente. L’architecture moderniste de Shanghai avait été le prétexte de ce séjour, ils avaient arpenté le Bund, visité musées, immeubles administratifs et hôtels, tous plus hauts, plus vastes, plus aventureux sinon tourmentés les uns que les autres et Sélène regrettait la ville ancienne dont elle se disait qu’on en avait voulu en effacer l’histoire et avec elle les traditions. Aussi c’était une fête pour Sélène de quitter cette Chine du XXIe siècle au mode de vie en tous points calqué sur le mode occidental et la confronter à son image traditionnelle.
Ils ont traversé du quartier des affaires tumultueuses, soulagés de le quitter ; les banlieues surpeuplées qui trahissent les ruptures sociales, étaient sorties de la ville, avaient découvert les premières rizières inondées, et les collines de vergers. L’autoroute abandonnée, le lieu était reculé devinait-elle. Chacun dans la limousine demeurait silencieux. Sélène écoutait la musique de son iPod, le regard au loin.
Ses pensées allaient vers la soirée de la veille. Elle avait été entraînée par Aurélien dans un cabaret ancien de la ville dont on ne put dire s’il s’agissait d’un cabaret transformé en maison close ou un bordel transformé en cabaret tant les filles y rencontraient les hommes avec facilité et tant ceux-ci étaient lestes à se laisser entraîner vers quelque salon ou chambre. Elle revoyait les femmes qui dansaient presque nues sinon nues tout à fait pour une assemblée nombreuse et gaillarde, sur le podium de bois usé, blanchies par la lumière crue qui les dévorait ou, une fois leur spectacle achevé, à porté de main des hommes attablés. Ils étaient les seuls occidentaux et Sélène avait demandé à Aurélien comment il avait connu cette maison qui ne figurait sans doute dans aucun guide. Il lui répondit, un pli malicieux aux yeux, que c’était là le conseil avisé du concierge de l’hôtel.
Ces femmes interpellaient leurs clients de mots rieurs qu’appuyait un regard pétillant de curiosité. Elle revoyait la fraîcheur de leurs corps, la clarté de leur regard et de leur sourire, l’éclat paisible et franc de leurs rires. Sélène et son mari fréquentaient quelquefois les cabarets, plus à l’occasion de leurs voyages qu’en France, mais la diversité des horizons ne changeait jusqu’alors rien au spectacle. Ici, ce soir, elle s’était dit que jamais encore elle n’avait vu les filles danser avec une telle liberté d’elles-mêmes, que jamais leurs regards ne s’étaient approprié à ce point le désir des hommes avec une semblable fierté, que, moins de jouer à susciter ce désir, elles en nourrissaient chaque mouvement de leurs corps, variaient leurs ondulations sans autre inspiration que l’ardant appel que lançait chacune des pupilles qui les dévoraient.
Sélène avait dit à son mari combien elle voulait savoir danser comme elles et susciter chez lui pareil émotion, moins le fruit de l’exposition du corps que celui de la magie du déhanchement, de l’ondulation du torse et la fixité des lèvres brillantes et du regard. Il lui avait répondu que « oui, aussi » de manière lointaine et sans quitter des yeux une jeune femme qui tenait sa poitrine à pleine main pour mieux la lui présenter, comme si, par cette attitude soudain lointaine, il avait voulu lui dire que cela lui paraissait impossible. Moins qu’elle en fut blessée, elle se fit la promesse de susciter chez lui, elle aussi, ce même désir et ne perdit plus du regard ces femmes, retenant leur leçon comme alors qu’elle était élève elle regardait ses maîtres avec fixité jusqu’à se laisser troubler par leur savoir. Elle avait été heureuse, quoiqu’étonnée, qu’Aurélien ait repoussé les invitations qui lui avaient été faites de disparaître quelques instants avec l’une d’elles. Quand il lui avait répondu qu’aucune ne suscitait autant de désirs qu’elle-même, elle lui répondit qu’elle ne le croyait pas, mais en était fière et s’est réjouie qu’il lui ait demandé de les regarder, invitation à se laisser habiter comme elles de ce fou désir que celui de leur propre disposition et comprenait bien que lui, comme tout homme, rêvât de la tenir dans une semblable disposition d’elle-même.
Sélène était à ses pensées quand le chauffeur fit un signe à ses passagers. Elle retira les écouteurs de ses oreilles en lui souriant, attentive. Il lui dit qu’il l’aimait et qu’elle ne devait jamais en douter, qu’elle était belle dans son tailleur, mais qu’elle était plus belle encore quand elle était nue. Voyant l’étonnement de Sélène à l’égard de propos qu’elle n’attendait nullement, Aurélien ajouta qu’il n’y aura jamais d’autres femmes dans sa vie et qu’il ne permettrait jamais qu’il y ait d’autres hommes dans la sienne. Le sourire de Sélène lui disait combien elle doutait de sa promesse et combien il se méprenait d’elle en lui prêtant un regard seulement pour un autre homme qui lui. Elle voulut poser ses lèvres sur les siennes, baiser de tendresse, il y répondit par un baiser fougueux, comme s’il avait voulu étouffer des mots que pourtant elle ne prononçait pas. Elle se laissa étreindre dans ses bras quoiqu’elle craignit que son tailleur en soit froissé. Elle demeura serrée contre lui, voulait sentir son corps quand il lui dit sans gravité qu’elle demeurerait quelque temps chez Monsieur Deng, qu’il ne savait pas au juste combien, qu’il reviendra la chercher sitôt Monsieur Deng jugerait qu’il serait temps, que s’il rentrait le soir même à Paris, il serait pourtant avec elle à chaque instant de son séjour, qu’elle ne devait jamais douter qu’il l’aimait, et que c’était dans son amour pour lui qu’elle trouverait le courage d’obéir en tout ce qui lui serait imposé, qu’il n’est rien qui lui serait imposé qu’il n’ait pas par avance consenti ni désiré qu’elle subisse, qu’obéissant à tous, c’est à lui seul qu’elle obéirait.
Le bras de Sélène autour du corps d’Aurélien n’avait plus de tendresse, bien plus il était devenu une amarre, le lien fort avec son mari dont elle eut voulu qu’il résiste à la tempête annoncée et dont elle ne comprenait rien. Elle posa mille questions, mais n’eut d’autres réponses qu’il l’aimait, qu’elle était belle et que déjà son regard troublé la rendait plus belle et désirable encore.
À l’approche d’un village, il noua les poignets de Sélène avec le ruban de soie que lui avait tendu le chauffeur, lui banda les yeux avec un second ruban puis glissa les écouteurs de l’iPod sous le bandeau et en poussa le volume. LIRE LA SUITE


ZONE ABONNES L’abonnement vous permet :
- d’enregistrer et d’imprimer l’intégralité des textes publiés de manière illimitée durant la durée de votre abonnement,
- d’avoir accès à certains récits dont la teneur ne permet pas une large publication,
(NB : Si vous êtes déjà en possession d’un pass, entrez-le, selon le type de votre abonnement, dans une des 2 zones prévues ci-dessous pour accéder à la partie privée de RdF)

ALLOPASS OU PAYPAL
OFFRE DECOUVERTE (1 jours)
ABONNEMENT 7 JOURS
ABONNEMENT 15 JOURS
ABONNEMENT 1 MOIS





ABONNEMENT 3 MOIS





ABONNEMENT 6 MOIS





SE DESABONNER


Entrez votre pass abonné

OFFRE DECOUVERTE (code valable 1 jours seulement)


Commentaires

Logo de Sylvain de Perry
jeudi 24 juin 2021 à 11h49 - par  Sylvain de Perry

L’histoire débute bien, même si elle rappelle, par la forme narrative, « Histoire d’O » voire un peu « L’amant ». Le style est excellent, très littéraire sans tomber dans l’excès. Le lecteur est positivement alléché, espère que la suite ne se fera pas trop attendre. Sylvain.

Navigation

Articles de la rubrique