Ranger son appartement en vue de la visite de Soldanelle lui prit au bas mot deux heures, tant elle l’avait négligé ces derniers temps. Elle passa l’aspirateur, fit la poussière et rangea les tas d’habits qu’elles avaient laissé traîner sur le fauteuil. Elle ne prit pas la peine de mettre en marche la machine à laver le linge. Elle enfourna le tout dans le tambour en se disant que demain serait assez tôt. Elle descendit au grand magasin le plus proche et acheta de quoi mitonner un repas simple, mais goûteux. Elle prit même la peine d’acheter un bouquet de fleurs pour égayer le salon.
Elle avait décidé de préparer une tarte aux poireaux comme le lui avait appris sa mère. Le four allumé, elle la glissa sur la grille afin qu’elle soit prête juste après l’arrivée de sa collègue. Elle prit enfin le temps de se changer et de passer des habits confortables et qui la mettaient somme toute bien en valeur.
Soldanelle arriva ponctuellement à vingt heures, comme à son habitude. En femme précise dans tout ce qu’elle entreprenait, elle tenait à arriver toujours à l’heure à ses rendez-vous.
La sonnette retentit et Alice se précipita à la porte, comme une adolescente attendant son petit ami.
—  Bonsoir Soldanelle ! Entre ! Donne-moi ton manteau !
Celle-ci se débarrassa de son Max Mara beige en de poil de chameau et se présenta à sa collègue dans une tenue à lui couper le souffle. Une robe de cuir noir, cintrée à la taille et légèrement au-dessus du genou. Son opulente poitrine avait de la peine à trouver place dans l’espace restreint laissé libre. Comme à son habitude, elle portait des talons aiguilles avec des bas noirs à couture.
—  Wouah ! Que tu es sexy !
—  Merci, mais je ne peux pas en dire autant de toi, même si tu dégages un charme certain.
—  Merci ! fit Alice légèrement vexée.
—  Ne sois pas vexée ! C’est ma manière de te parler et tu le sais bien ! Néanmoins, je pense que tu devrais revoir ton look de « Ranger » !
—  Tu me vois habillée comme toi et me déplacer en vélo ?
—  Pourquoi pas ? Tu cherches à passer inaperçue partout où tu vas ! Ton mimétisme, que je comprends dans certains aspects du boulot, t’empêche de te laisser aller ailleurs !
—  Bon, Soldanelle, avant d’aller plus loin dans cette discussion, viens boire un apéro.
—  Et tu me raconteras tes rendez-vous du jour !
—  A condition que tu me livres les secrets des tiens !
—  Bien évidemment !
—  Un porto ?
—  Volontiers !
Alice remplit les deux verres d’une large rasade d’un vingt ans d’âge prometteur et fit asseoir Soldanelle dans le canapé pendant qu’elle optait pour le fauteuil lui faisant face. Au moment où cette dernière s’assit dans la profondeur du siège, le mouvement de Soldanelle fit remonter sa robe étroite et dévoila la frontière de dentelle de ses bas. Elle fit mine de rien et ne tira pas sur sa robe.
Alice constata que Soldanelle avait un naturel déconcertant, même lorsqu’elle se dévoilait ainsi. Elle se demanda si c’était volontaire afin de la choquer ou si elle voulait lui témoigner ses manières très libres.
—  A ta santé Soldanelle !
—  A ta santé Alice.
Elles firent tinter les verres et partagèrent les quelques mignardises qu’Alice avait disposées dans un bol chinois décoré de scènes érotiques, cadeau d’un amant, il y a très longtemps, et qui lui avaient révélé certains plaisirs sulfureux.
—  J’aime bien ce bol et ces scènes. Il détonne un peu chez toi !

—  C’est un cadeau d’un amant qui voulait qu’on aille voir des films pornos, qui voulait m’entraîner dans des magasins de lingerie érotique. Je l’aimais bien, mais il me paraissait un brin trop obsédé pour continuer !
—  Décidément, à croire que tu as eu une éducation puritaine !
—  Un peu, oui. Tu sais à la campagne, on est proche du rut des animaux et assez peu porté sur certaines bagatelles. Et toi ? Pourquoi es-tu toujours si sexy, le sais-tu ?
—  Bien sûr ! Moi, j’ai eu un amant qui m’a initiée. Nous lisions ensemble des bouquins érotiques, j’ai dégusté Histoire d’O et nous avons même essayé plein de choses…
—  Comme ?
—  L’exhibition, les lingeries érotiques, l’amour en public !
—  En public !
—  Mais oui. T’as jamais essayé ? Un jour, mon amant de l’époque m’a prise dans le métro, debout à l’heure de pointe, pendant que je me tenais des deux mains aux poignées du plafond. J’ai eu une jouissance incroyable !
—  Là, tu me racontes des histoires !
—  Je te jure que non ! Je te montrerai des photos, parce que nous en avions fait des centaines.
—  Mais, ça rimait à quoi ?
—  A rien, une façon de dépasser le code établi. Tu sais, j’avais vingt ans. En fait j’adorais cela et peu à peu, je me suis mise à aimer les tenues sexy, la lingerie affriolante et l’amour de façon originale, en déclinant le Kama Sutra de toutes les manières possibles. C’est une période marquante de ma vie et qui a encore des répercussions sur ma façon d’appréhender les relations aujourd’hui.
—  J’ai l’impression de sortir de ma campagne…
—  J’ai même fait l’amour à plusieurs et avec des femmes.
—  Avec des femmes ?
—  Ne prends pas cet air offusqué. Il n’y a rien de mal, au contraire. J’ai constaté que c’était tellement différent qu’avec un homme !
—  En quoi ?
—  Mais, c’est comme si une femme comprenait sans mot ce que j’attends comme caresse, la manière de faire jouir, le besoin de câlin. Avec les hommes, l’incertitude est plus grande. On ne sait jamais si c’est un éjaculateur précoce, si tu ne lui touches pas son sexe, c’est à peine s’il bande. Il ne comprend pas comment ton corps réagit pendant qu’il te pénètre…
—  Mais une femme ne te pénètre pas !
—  Non, pas avec son sexe, c’est vrai, mais il y a mille manières de le suppléer !
—  Bof !
—  T’as déjà essayé ?
—  Non ! Mais à t’entendre, j’ai la forte impression de ne pas avoir essayé grand-chose.
La gêne d’Alice était profonde. Elle avait l’impression d’être une oie blanche et de ne pas avoir vraiment vécu l’amour jusqu’à cet instant. Soldanelle la déconcertait par le naturel avec lequel elle témoignait de ses expériences. LIRE LA SUITE