Mater Dolorosa

vendredi 21 février 2020
par  domindoe
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Gamine, je rêvais du prince charmant… un beau prince oriental aussi brun que ténébreux, à l’allure fougueuse et déterminée, à la démarche ferme, droit de maintien et de parole. Un homme à qui je n’aurais pu en rien résister.

Adolescente, ses traits se sont durcis, son regard est devenu farouche et sa mine autoritaire et je le désirais encore plus. Je me languissais de ses désirs et de ses ordres. Il venait me délivrer de ces fades amourettes adolescentes et m’imposait une vie d’aventure à sa dévotion.
Femme, j’ai continué à l’espérer à travers des hommes ambitieux et déterminés. Mais ils n’avaient pas ce détachement frisant l’indifférence, cette morgue altière qui dessinait la silhouette de mon fantasme. Leur ambition les enchaînait à leur travail, leur détachement n’était qu’absence et leur morgue qu’incompréhension.

Vingt ans passés, aucun étalon n’a henni devant ma porte, aucun fier destrier ne s’est cabré pour m’enlever. Je restais libre, tristement libre.
Pourtant le cavalier existait, de cela j’étais persuadée. Je percevais son regard braise, sa voix tonnerre, courroucés par mon manque d’ardeur qui le laissait éloigné. S’il ne venait pas, c’était simplement parce que je ne le cherchais pas assez fort, que je ne l’appelais pas assez fort. J’étais la seule coupable de ce désir trop timide.
Alors, maillon après maillon, j’ai assemblé ma dépendance. Je voulais m’enchaîner à cette illusion pour la contraindre à la réalité. Une idée m’obsédait, celle de souffrir pour palper et subir les effets de son existence. Que de soirées passées à écraser mon corps de chaînes jusqu’à paraître métal, à lester mes seins de poids jusqu’à les rendre mamelles, à brûler mon pubis jusqu’à le faire cire lisse. Un moment d’extase fugitif récompensait parfois mes tourments. Fugitif, toujours. Mais aussitôt disparu le tourment de mon corps, revenait plus violente la présence du désert. Chaque grain de son sable comptant le temps inexorable de l’absence. Sablier géant, infini car sans vie.

J’ai eu trente ans hier. Seule la souffrance me prouve que je vis. Certains se pincent pour croire ce qu’ils voient. Je me pince pour apercevoir cette douleur que j’espère dans ma souffrance. Je souffre, je souffre, mais jamais je ne crie. J’appelle la douleur en silence comme un orgasme libérateur, et asservi. Le galop des sabots passe et s’éteint dans la poussière. Poussière je suis. Le Prince ne tourne jamais le regard sur la poussière qui le suit. Poussière je jouis.

J’ai quarante ans aujourd’hui. C’était la dernière borne, le bout de la piste. Je referme mon corps à toutes les envies. Je me suis déshabillée puis regardée dans une glace. Sans concession mais sans dégoût. Nue. Je regarde mon corps comme un objet usagé sans plus d’usage. Les rides aux coins des yeux, le trait des pommettes trop accentué, creusé, les chairs du visage un peu molles, les seins trop volumineux qui concèdent leur défaite à la pesanteur, le ventre rond qui entame une expansion discrète au-dessus d’un sexe aussi lisse qu’à son premier jour, les cuisses bien espacées et fermes bien qu’un peu orangées, les jambes et chevilles toujours fines terminées par des pieds que je n’ai jamais aimés.
Je dis adieu à ce corps. Je le condamne. Je le cloître dans son espérance déçue. J’enfile un long imperméable, des chaussures avec peu de talons. Je me voile dans mes cheveux bruns et gris. Tout était prêt depuis longtemps.

Un tatoueur au coin d’une rue sans âme ni lumière. Une boutique sombre et glauque sous un néon vacillant qui flashe la nuit de zébrures rouges et violettes. La pluie tambourine des sillons sur la vitrine encrassée. Mes cheveux gouttent, s’emmêlent et se réfugient sous l’imper. Je me plante devant la porte. Hésitation ? Non. Moment délicieux où l’eau victorieuse s’immisce sur ma peau malgré la protection de l’enveloppe artificielle. Je dégrafe deux boutons et admire le déluge qui frappe mes seins puis ruisselle vers mon ventre. Bientôt mon corps pleure l’eau du ciel. Je reboutonne l’ouverture et pousse la porte du tatoueur. LIRE LA SUITE



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Commentaires

Logo de Henic
samedi 22 février 2020 à 18h48 - par  Henic

De nos jours, est-il possible de passer autant de temps sans parvenir à trouver l’âme sœur de ces fantasmes masochistes ?
L’histoire est rude, et quelque peu désespérante.

Logo de Sylvain de Perry
samedi 22 février 2020 à 16h12 - par  Sylvain de Perry

Une sympathique lecture. Quant au tatoueur, même fantasmé, ce genre de traitement n’est pas original : voir « La punition » et « Dressage conjugal » de Jean-Charles Rhamov parus chez Media 1000. Sylvain.

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